Libération anticipée – Éclosion de chikungunya dans un pays à maladies à transmission vectorielle multiple, Djibouti, 2019-2020 – Volume 29, Numéro 4—Avril 2023 – Revue des maladies infectieuses émergentes

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Emilie Javelle, Franck de Laval, Guillaume André Durand, Aissata Dia, Cécile Ficko, Aurore Bousquet, Deborah Delaune, Sébastien Briolant, Audrey Mérens, Constance Brossier, Hervé Pommier, Florian Gala, Alain Courtiol, Quentin Savreux, Sébastien Sicard, Jean-Philippe Sanchez, Francis Robin, Fabrice Simon, Xavier de Lamballerie, Gilda Grad, Isabelle Leparc-Goffart et Vincent Pommier de Santi


Affiliation de l’auteur : Université d’Aix Marseille France, Marseille, France (E. Javelle, GA Durand, S. Briolant, F. Simon, X. de Lamballerie, G. Grard, I. Leparc-Goffart, V. Pommier de Santi); Institut de recherche biomédicale des armées françaises, Marseille (E. Javelle, GA Durand, S. Briolant, G. Grard, I. Leparc-Goffart); Institut Hospitalo-Universitaire-Méditerranée Infection, Marseille (E. Javelle, S. Briolant); Centre d’épidémiologie et de santé publique des armées françaises, Marseille (F. de Laval, A. Dia, C. Brossier, S. Sicard, V. Pommier de Santi); CHU Bégin, Saint Mandé, France (C. Ficko, A. Bousquet, A. Mérens, A. Courtiol); Institut de Recherche Biomédicale des Armées, Brétigny-Sur-Orge, France (D. Delaune); Service de santé militaire français, Ville de Djibouti, Djibouti (H. Pommier, F. Gala, Q. Savreux, J.-P. Sanchez, F. Robin)

Djibouti est un pays semi-aride bordé par l’Érythrée, la Somalie et l’Éthiopie. Dans la région, les principaux vecteurs du virus du chikungunya (CHIKV) et du virus de la dengue (DENV) sont Aedes aegypti moustique. Les Forces armées françaises sont stationnées dans la ville de Djibouti, où vit 70% de la population du pays (population totale ≈900 000). Les bases militaires et les logements sont situés en zone urbaine et l’ensemble de la Communauté française de défense (FDC), y compris les militaires, les familles et les fonctionnaires, compte 2 700 habitants.

De juillet à octobre 2019, une épidémie de chikungunya à grande échelle (41 162 cas suspects, 16 cas confirmés en laboratoire, taux d’attaque de 12,3 %) s’est produite à Dire Dawa, en Éthiopie, à 260 km de la ville de Djibouti (figure en annexe) (1). Dans une enquête menée en 2010-2011 dans la ville de Djibouti, bien qu’aucune épidémie n’ait été signalée depuis lors, 2,6 % de la population présentaient des signes sérologiques d’infection par le CHIKV (2). Compte tenu des liaisons routières, ferroviaires et aériennes entre les 2 villes et la population locale naïve au CHIKV, nous considérons que la possibilité d’une épidémie de CHIKV dans la ville de Djibouti est très probable. La prise en charge des patients est difficile car la dengue et le paludisme sont endémiques à Djibouti (3).

Nous décrivons la réponse globale mise en place par la FDC contre ces maladies vectorielles et évaluons l’utilisation du sang sur papier buvard pour le diagnostic des arbovirus. Avec le consentement du patient, nous collectons et anonymisons les données cliniques et épidémiologiques à des fins de diagnostic. Selon la réglementation française, cette épidémie étant considérée comme une menace directe pour la santé publique, l’approbation éthique n’est pas requise pour cette enquête.

Figure 1

Organigramme du diagnostic des arboviroses en Communauté française de défense à Djibouti, 2019-2020.  *Le nombre d'échantillons testés a été limité en raison de l'introduction de la RT-PCR sur sang total dans la ville de Djibouti 1 mois après le début de l'épidémie de chikungunya.  Ag, antigènes ;  NS1, protéine non structurale 1 ;  RT-PCR, PCR transcription inverse.

Figure 1. Organigramme de diagnostic des arboviroses au sein de la Communauté française de défense à Djibouti, 2019-2020. *Le nombre d’échantillons testés est limité en raison de l’introduction de la RT-PCR sur sang total dans la ville de Djibouti 1 mois…

En octobre 2019, nous avons renforcé la surveillance épidémiologique à la FDC pour détecter l’émergence du CHIKV. Nous avons défini les cas suspects de maladie de type arboviral (ALD) comme de la fièvre ou des frissons et/ou des arthralgies aiguës et/ou des éruptions cutanées et/ou des vomissements et de la diarrhée. Les patients symptomatiques sont encouragés à consulter un médecin pour un dépistage systématique de la dengue, du chikungunya et du paludisme. De chaque personne présentant des signes/symptômes d’ALD, nous avons prélevé du sang veineux, coloré sur du papier buvard Whatman 3MM (Sigma-Aldrich, https://www.sigmaaldrich.com), sécher les échantillons à température ambiante et les stocker dans des sacs en plastique scellés pour la conservation et le transport (4). Le Centre National de Référence des arbovirus en France a réalisé une PCR de transcription inverse (RT-PCR) et des tests sérologiques pour le CHIKV et le DENV sur papier buvard comme décrit par ailleurs (5). En janvier, l’équipement a été préparé localement pour effectuer une RT-PCR interne pour le DENV et le CHIKV sur des échantillons de sang total (Figure 1) (6,7). Les cas de Chikungunya ont été confirmés par RT-PCR positive sur sang total ou papier buvard ou par détection d’IgM CHIKV sur papier buvard. Les cas de dengue ont été confirmés par une DENV RT-PCR positive sur sang total ou sur papier buvard ou par un test de diagnostic rapide (TDR) positif de la protéine non structurale 1 (NS1) (Bioline Dengue Duo ; Abbott, https://www.abbott.com). Nous prodiguons des soins selon les Recommandations Nationales Françaises (8) et les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé (9). Simultanément, nous renforçons les mesures suivantes de lutte antivectorielle et de protection individuelle FDC : gestion des sources larvaires, vêtements longs, insectifuges et moustiquaires insecticides durables.

Figure 2

Maladies à transmission vectorielle au sein de la Communauté française de défense à Djibouti : courbes épidémiques et disponibilité des outils de diagnostic, 2020 (chikungunya = 58, dengue = 56 et paludisme = 6 cas).  NS1, protéine non structurale 1 ;  RT-PCR, PCR transcription inverse.

Figure 2. Maladies à transmission vectorielle au sein de la Communauté française de défense à Djibouti : courbes épidémiques et disponibilité des outils de diagnostic, 2020 (chikungunya = 58, dengue = 56 et paludisme = 6 cas). NS1, non structurel…

Nous avons comparé la présentation clinique de la dengue et du chikungunya à l’aide du logiciel R version 3.5.1 (The R Project for Statistical Computing, https://www.r-project.org) pour l’analyse statistique. Globalement, parmi les 2 700 personnes sous FDC, nous avons inclus 282 personnes atteintes d’ALD. En mars 2020, nous avons confirmé 120 cas de maladies à transmission vectorielle (taux d’attaque 42,6 %, 120/282) : 58 chikungunya (2,1 %, 58/2 700), 56 dengue (2,1 %), 6 paludisme (5 Plasmodium falciparum et 1 P. vivax), et pas de co-infection (Figure 2). Nous avons également documenté 2 infections concomitantes par le virus de la grippe A et un arbovirus. Parmi les patients atteints de maladies à transmission vectorielle, 67,5 % (81/120) étaient des hommes et 73,3 % (88/120) étaient des militaires. L’âge moyen était de 34,5 ans (intervalle 8,3–79,6, intervalle interquartile 27,1–40,0) ans et 92,5 % (111/120) des personnes ont demandé des soins dans les 48 heures suivant l’apparition des symptômes (médiane 1, intervalle 0–7, intervalle interquartile 0– Un jour).

Nous avons confirmé les premiers cas de chikungunya parmi les personnes au FDC en novembre 2019. L’épidémie a commencé en décembre et a duré 13 semaines. La souche CHIKV est issue de la lignée indienne du génotype Est/Central/Sud Africain (dix). L’épidémie de dengue a culminé fin janvier et a été associée au DENV-1 avec un sérotype unique, confirmé pour 36/56 cas de dengue (Figure 2). Le CHIKV et le DENV circulent ensemble pendant 16 semaines. Un cas de chikungunya a été diagnostiqué avec CHIKV IgM sur papier buvard seul ; les autres (57/58, 98%) ont été confirmés par RT-PCR. Un cas de dengue a été diagnostiqué avec un TDR positif pour l’antigène NS1 avec un DENV IgM positif sur papier buvard ; les autres (55/56, 98 %) ont été confirmés par RT-PCR (Figure 1). Le Centre National de Référence a reçu des échantillons de papier buvard pour 93,0% (106/114) des infections DENV et CHIKV et a confirmé 97,2% (103/106) des diagnostics, 93,4% (99/106) par RT-PCR et 3,8% (4/106) avec sérologie (1 DENV et 3 CHIKV). Les tests DENV et CHIKV RT-PCR ont été effectués sur du sang total et sur du papier buvard à 44,7 % (51/114) (tableaux 1, 2). Par rapport à la RT-PCR sur sang total, aucune des RT-PCR sur papier buvard n’a produit de faux résultats positifs.

Des échantillons de patients ALD ont été testés localement avec l’antigène NS1 RDT, et 43 (43/120, 36%) étaient positifs. Les résultats ont été négatifs pour 13/56 (23 %) personnes atteintes de dengue, qui ont toutes été testées dans un délai médian de 1,5 (intervalle 0 à 3) jours après l’apparition des symptômes. Parmi les 46 personnes infectées par le DENV confirmées par RT-PCR sur sang total, 36 (78 %) avaient des résultats de TDR positifs concomitants.

Le principal signe d’ALD est la fièvre (90,8%, 109/120). Les maux de tête et les troubles digestifs sont plus fréquemment associés à la dengue (odds ratio [OR] 7,2, IC 95 % 2,3–22,8) que le chikungunya (OR 5,9, IC 95 % 1,8–19,6) (tableau annexe). Les arthralgies des orteils (OR 29,97, IC 95 % 3,19–195,61), des chevilles (OR 18,28, IC 95 % 6,14–54,71), des doigts (OR 12,47, IC 95 % 3,93–39,61) et des poignets (OR 12,47, IC 95 % 3,93–39,61) étaient hautement prédictives du chikungunya. OR 18,27, IC à 95 % 5,71–58,52). Une infection secondaire s’est développée chez 4 patients atteints de chikungunya (1 cas de pneumonie, de dysenterie, d’herpès récurrent et de gingivite avec candidose buccale). Parmi les patients atteints de dengue, 4 avaient une cytolyse hépatique (augmentation maximale des transaminases 12 fois la limite supérieure), et 3 avaient des infections secondaires dont une pneumonie aiguë, Escherichia coli pyélonéphrite et amibiase intestinale. Aucun patient ne répondait aux critères de DHF sévère. Aucun des patients ALD n’a eu besoin de soins intensifs. Tous les patients atteints de paludisme se sont rétablis après 3 jours d’administration d’arténimol/pipéraquine et d’un traitement secondaire par un traitement à la primaquine pour les patients atteints de P. vivax infection. Le traitement de la maladie arbovirale dépend principalement des analgésiques, des antihistaminiques et de l’hydratation. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens délivrés sur ordonnance, l’aspirine ou les corticoïdes sont officiellement contre-indiqués pendant les premiers jours de l’infection. Pour les patients atteints de chikungunya confirmé, nous avons soigneusement évalué le rapport bénéfice/risque de l’introduction des anti-inflammatoires non stéroïdiens.

Malgré les récentes améliorations des outils de diagnostic, les épidémies de chikungunya en Afrique peuvent être sous-déclarées (11). En 2019-2020, une épidémie de chikungunya à grande échelle s’est produite dans la ville de Djibouti (12). Cependant, en raison d’un manque de tests de diagnostic spécifiques et de rapports, aucune donnée n’est disponible pour estimer son étendue. Les épidémies de chikungunya sont restées limitées (taux d’attaque de 2,1 %) en CDF mais ont été suivies d’épidémies de dengue. Nous avons constaté que les caractéristiques cliniques étaient utiles mais pas suffisantes pour différencier le chikungunya de la dengue (13,14). Une confirmation biologique est encore nécessaire pour déterminer le traitement approprié. L’utilisation d’échantillons de sang sur papier buvard a été décrite comme une méthode de terrain pour détecter les arbovirus (4,5), qui sont couramment utilisés dans les Forces armées françaises lorsqu’elles sont déployées en Afrique (15). Dans cette étude, nous avons utilisé des échantillons de sang sur papier buvard pour détecter la présence du CHIKV et suivre l’évolution de l’épidémie. Le papier écouvillon offre une méthode robuste de prélèvement sanguin et de transport vers un laboratoire de référence, permettant de confirmer 90 % des diagnostics d’arbovirus. Nous recommandons le papier buvard comme outil de terrain pour la détection et le suivi à distance des épidémies d’arbovirus.

Dr. Javelle est médecin militaire et spécialiste des maladies infectieuses à l’hôpital militaire d’enseignement de Laveran et mène des recherches à l’Institut de recherche biomédicale des forces armées françaises et à l’Institut hospitalier universitaire Méditerranée-Infection, à Marseille, en France. Il possède une expérience clinique et scientifique dans le domaine des maladies à transmission vectorielle et de la médecine des voyages.

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Rochelle Samuel

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