Les exilés saoudiens craignent l’extradition alors que le royaume étend sa répression

« Si déporté, je serai torturé et emprisonné pendant longtemps, car j’ai travaillé avec l’opposition pendant de nombreuses années », a déclaré à l’AFP Khalidi, un demandeur d’asile débouté, par téléphone depuis un centre de détention à Sofia.

Pour Khalidi, 29 ans, et d’autres dissidents qui ont fui après avoir critiqué la monarchie saoudienne, ces craintes sont devenues une nouvelle urgence après l’extradition le mois dernier de son compatriote Hassan al-Rabie, qui a cherché refuge temporairement au Maroc.

Rabie, qui vient d’une importante famille dissidente et a été accusé de crimes, notamment de « collaboration avec des terroristes », n’a pas été entendu depuis. Des groupes de défense des droits de l’homme ont averti qu’il faisait face à de « graves violations des droits » sur le sol saoudien.

L’affaire met en évidence la vulnérabilité des exilés saoudiens au milieu d’une répression croissante de la dissidence sous le prince héritier Mohammed bin Salman, le dirigeant de facto de la nation riche en pétrole.

Les critiques accusent l’homme de 37 ans de réduire l’espace politique alors même qu’il poursuit un programme de réforme ambitieux qui implique des investissements massifs dans le sport et le divertissement et l’expansion de certains droits des femmes.

Les personnes sans asile politique ou sans double nationalité sont « toujours menacées d’expulsion », a déclaré Taha al-Hajji, directeur juridique de l’Organisation euro-saoudienne des droits de l’homme.

Il n’y a nulle part où se cacher

L’activisme de Khalidi a précédé l’accession au trône du roi Salmane en 2015 et la nomination du prince Mohammed comme héritier présomptif deux ans plus tard.

En 2011, il a été actif lors de rares manifestations dans l’est de l’Arabie saoudite, où se concentre la minorité chiite, à la suite des soulèvements du printemps arabe au Moyen-Orient.

Il s’est enfui en Turquie en 2013 et a vu le bras long de l’État saoudien traquer des militants plus importants qui se trouvaient également à l’extérieur du pays.

Le groupe comprend Loujain al-Hathloul, une militante des droits des femmes qui a été arrêtée aux Émirats arabes unis en mars 2018 et forcée de retourner en Arabie saoudite, où elle a passé plus de deux ans derrière les barreaux.

En octobre 2018, des agents saoudiens ont tué et démembré le journaliste et critique Jamal Khashoggi à l’intérieur du consulat du royaume à Istanbul – une opération que les services de renseignement américains pensent que le prince Mohammed a « approuvée », malgré les démentis saoudiens.

Au-delà de ces affaires très médiatisées, une opération de surveillance en ligne saoudienne très médiatisée – qui, selon un tribunal américain l’année dernière, consistait à demander aux employés saoudiens de Twitter de démasquer les critiques – a également déstabilisé les exilés.

Ainsi, lorsque le passeport de Khalidi a expiré en 2021, il a cherché refuge dans l’Union européenne, fuyant à pied vers la Bulgarie.

Sa demande d’asile n’a cependant pas abouti, les autorités ayant conclu en mai qu’il n’avait pas suffisamment démontré qu’il serait victime d’abus chez lui, selon un avocat bulgare travaillant sur l’affaire et s’exprimant sous le couvert de l’anonymat.

Une décision sur l’éventuelle extradition de Khalidi pourrait intervenir à tout moment.

Les autorités saoudiennes n’ont pas répondu aux questions de l’AFP sur le cas de Khalidi et consorts.

« Ne plus jamais revoir le soleil »

Il n’y a pas de chiffres complets sur les dissidents saoudiens vivant à l’étranger, mais les militants et les avocats affirment que les destinations populaires incluent les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Canada.

Dans l’Union européenne, le nombre de demandeurs d’asile saoudiens a considérablement augmenté sous le règne du roi Salmane.

Le bloc a enregistré 15 demandeurs d’asile saoudiens en 2013 et 40 en 2014, passant à 130 en 2017 et 2022, selon les chiffres fournis par l’Agence d’asile de l’Union européenne.

Même ceux qui ont trouvé l’asile ont déclaré que leurs peurs n’avaient jamais complètement disparu.

Abdul Hakim al-Dakhil, un dissident saoudien arrêté en 2010 après avoir appelé à des réformes politiques en ligne, a fui le royaume en 2017 pour finalement se retrouver en France, où il a obtenu l’asile en 2020.

« Avant cela, j’avais peur d’être expulsé, car je serais jugé sur de fausses accusations, et je ne reverrais plus jamais le soleil », raconte-t-il à l’AFP.

Il était toujours inquiet pour sa sécurité.

« Je préfère être dans les lieux publics et j’ai toujours peur d’aller seul dans certains endroits », a déclaré Dakhil.

Plusieurs dissidents et militants saoudiens vivant à l’étranger ont déclaré à l’AFP qu’ils refusaient de transiter par les pays arabes pour éviter l’extradition, comme ce fut le cas avec Rabie.

« Personne n’ose traverser » la zone, a déclaré Adel al-Saeed, vice-président de l’Organisation euro-saoudienne des droits de l’homme.

Les militants saoudiens ont systématiquement refusé les invitations à des conférences sur les droits de l’homme dans des pays comme le Liban et la Tunisie pour cette raison, a-t-il ajouté.

Lina al-Hathloul, sœur de Loujain et responsable de la surveillance ALQST basée à Londres, a déclaré à l’AFP que l’asile ou la double nationalité pouvaient offrir des « couches de protection » aux dissidents, mais qu’il y avait des limites.

« Compte tenu de l’influence de l’Arabie saoudite dans certains pays », a-t-il dit, « ce n’est pas une garantie de protection ».

Jacques Fontaine

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