Même si Macron gagne, la politique française a peut-être changé pour toujours

FRANCE AUTOUR du second tour de l’élection présidentielle du 24 avril, un sentiment de déjà-vu plane sur le pays. Cinq ans après le dernier vote, le président sortant Emmanuel Macron a de nouveau affronté Marine Le Pen du Rassemblement National (RN). Au premier tour, le 14 avril, les deux ont légèrement amélioré leur bilan de 2017 : Mme Le Pen en hausse de 23 % contre 21 % et M. Macron en hausse de 28 % contre 24 %.

La domination de ces deux candidats montre à quel point les électeurs français ont porté un double coup à leur système de partis. En 2017, ils ont écrasé le Parti socialiste de centre-gauche (alors 6 %, aujourd’hui 2 %). Cette année, ils ont battu le centre-droit en lui accordant 5 % des voix, contre 20 % en 2017.

Le Pen a été aboli après sa défaite en 2017. Les performances électorales de son parti depuis lors ont été médiocres. Mais il creuse, reste silencieux et apprend de ses erreurs. Après s’être trop dispersé en 2017, il mène cette fois une campagne locale, avec des rassemblements plus intimes et moins de grands rassemblements électoraux. Sa performance lors du seul débat présidentiel du 20 avril a été saluée un peu plus fortement que sa performance très ridiculisée en 2017. Même s’il perdait, il surpasserait de loin son score au deuxième tour de seulement 34% en 2017. Quel anti- rébellion de l’establishment c’est possible ?

Les résultats du premier tour ont montré qu’il n’y avait pas que l’aile droite qui se développait. Jean-Luc Mélenchon, un populiste d’extrême gauche, a obtenu un solide 22%, devant Mme Le Pen en troisième position. Son programme est aussi populiste que Mme Le Pen dans son rejet des élites, sa promesse de démocratie directe par le recours régulier aux référendums et sa promesse d’éloigner la France de l’Union européenne et de l’OTAN.

La leçon du premier tour n’est donc pas que la droite commence à dominer mais que les électeurs français continuent de se tourner vers des politiciens extérieurs au système partisan établi, quelle que soit leur ligne politique. Après tout, c’est ce qu’ils ont fait en choisissant Macron en premier lieu. S’il gagne le 24 avril, Le Pen devra très probablement remercier les électeurs qui ont voté pour M. Mélenchon au premier tour, soit d’avoir voté pour lui (19 % ont menacé de le faire), soit d’être restés chez eux.

Pourquoi ce changement s’est-il produit ? Un récent sondage CEVIPOF/IPSOS a montré que ce n’était pas parce que les électeurs faisaient confiance aux politiciens extrémistes. Seuls 20% des personnes qui ont voté pour Mme Le Pen ont déclaré lui faire confiance. Les autres l’ont soutenu principalement parce qu’il « se sentait le plus proche des gens comme moi » (42%) ou « par vote contre d’autres candidats » (38%). Les électeurs de M. Mélenchon étaient similaires : seuls 15 % ont déclaré le croire ; 64% ont déclaré avoir le sentiment qu’il avait des idées proches d’eux. Le score de M. Macron sur cette « proximité » était en revanche le plus bas sur tous les plans, à 29%.

Pour signifier qu’il s’éloigne de ses racines d’extrême droite, Le Pen a changé le nom de son parti, de Front national (FN, signifiant Front national). Il a déplacé son attention de la race et de l’immigration vers la communauté et les salaires. La position de son parti sur l’islam est désormais enveloppée dans une forte défense des valeurs occidentales et de la laïcité plutôt que dans la propagande anti-musulmane plus franche qui caractérisait autrefois le FN. Au premier tour, il a bénéficié de la présence d’Eric Zemmour, un candidat encore plus à droite que lui, qui l’a aidé à paraître moins dangereux.

Les tentatives de Le Pen auprès des électeurs de la classe ouvrière depuis qu’il a pris la tête du parti en 2011 ont également entraîné un changement de rhétorique. Il se concentre désormais davantage sur des questions plus proches du cœur des communautés qui manquent d’emplois, de personnes et de services, qui ne voient pas comment l’UE ou la mondialisation (ou leurs propres allégeances politiques traditionnelles de gauche) leur ont apporté autre chose que chagrin d’amour et douleur insulte. C’est une histoire familière dans de nombreuses démocraties développées.

Mais le manifeste du RN affiche clairement l’éloignement du parti par rapport au mainstream. Il promettait un référendum sur l’immigration (dont le contenu était volontairement tenu flou), l’interdiction du port du foulard en public, des restrictions à l’emploi, au logement et aux allocations pour les Français (politique dite de « préférence nationale ») et la suppression de la Droits de nationalité française dès la naissance. Tout cela s’est accompagné d’un programme économique nébuleux et presque sans frais qui promettait des réductions de TVA et des augmentations de salaires, ainsi que la renégociation des relations de la France avec l’UE d’une manière très évocatrice du dirigeant hongrois Viktor Orban. Le Pen veut clairement faire basculer la France par la droite plus que Macron essaie de le faire par le centre.

La plupart des analystes pensent que Macron gagnera encore dimanche. Que les électeurs français soient susceptibles de réélire un centriste libéral est une bénédiction. Mais l’élection elle-même doit être un avertissement contre la complaisance partout. La France offre un aperçu des défis auxquels est confrontée la démocratie libérale. Au cours de son mandat, Macron a toujours soutenu qu’il était le seul à se tenir entre les électeurs français et le populisme. Mais il y a 20 ans, le parti de Le Pen était considéré comme une menace pour la démocratie par 82 % des électeurs français qui votaient contre son père ; aujourd’hui, ce chiffre est tombé à 50 %. Et les sondages montrent que de nombreux jeunes penchent de plus en plus vers Le Pens et Mélenchon dans ce monde. Les citoyens semblent de plus en plus immunisés contre les dangers du populisme et l’attrait de la démocratie libérale. En proposant une « politique de proximité », le populisme offre aux électeurs les plus vulnérables le sentiment d’appartenance et d’engagement que le centre libéral a abandonné.

C’est de mauvais augure pour la France et le monde occidental. À long terme, celui qui gagnera dimanche devra s’assurer la loyauté de l’électorat français non seulement pour lui-même en tant que président, mais pour la politique du compromis négocié plutôt que celle de l’invective, et la politique entre opposants plutôt qu’entre ennemis. Ce serait une tâche beaucoup plus difficile.
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Catherine Fieschi est politologue et fondatrice et directrice de Counterpoint, un groupe de réflexion britannique.

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Charlotte Baudin

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